Sur le site « The Remnant », un excellent article de Hillary White sur l’Office divin. J’en propose aujourd’hui une traduction de l’Anglais, [avec quelques commentaires et précisions], ainsi que des mises en gras. Je proposerai aussi la version originale en Français des citations de Madame Cécile Bruyère première abbesse de Solesmes et de Dom Paul Delatte, 3ème abbé de Solesmes qui sont cités en Anglais dans l’article original.
Il y a peu de temps, je parlais à une amie, une catholique traditionnelle, qui m’a posé cette question, et j’ai été un peu surpris. Ce n’est pas qu’elle n’en avait jamais entendu parler, mais qu’elle avait surtout entendu le nom et les références, sans avoir jamais eu une explication. Et, bien sûr, étant à peu près de mon âge, elle n’avait jamais rencontré un usage réel de « l’autre » pratique liturgique de l’Église dans le cours normal de sa vie paroissiale. J’ai réalisé qu’une personne qui n’avait jamais eu beaucoup de contacts avec les religieux qui l’utilisaient (rare en ces temps sombres) pouvait passer toute une vie sans contact avec l’office divin et pouvait être troublée par la profusion de termes utilisés pour décrire ce dernier.
Il y a une réponse courte mais probablement trompeuse dans sa simplicité. Le Divinum Officium, l’Office divin, l’Opus Dei, les Heures canoniales, la Liturgie des Heures … tous les termes décrivant plus ou moins le même objet, sont simplement la récitation ordonnée et régulière [1] et quotidienne des Psaumes, accompagnée d’hymnes et de passages choisis la Bible, tous liés à l’année liturgique et entrecoupées de prières d’intercession plus courtes. L’Office divin pourrait être décrit comme « l’autre moitié » de la liturgie universelle de l’Église, dont le Saint Sacrifice de la Messe est le premier et auquel il est intimement lié. Les deux moitiés expriment la plénitude d’une sorte de conversation collective grandiose et multimillénaire – et de moyens de communion – entre Dieu et ses saints, reprise et continuée génération après génération.
La réponse plus longue ouvre tout un monde de mystère. Comment cette chose apparemment simple – la récitation quotidienne ou le chant des Psaumes à intervalles réguliers tout au long de la journée, organisée de telle sorte que vous parcourez le psautier chaque semaine [2] – a fini par créer une sorte de nouvelle fondation pour une civilisation entière, celle dans laquelle vous êtes probablement en ce moment? Car c’est vrai ; l’Office divin a aidé l’Église à « réamorcer » la civilisation de l’Antiquité en tant que société chrétienne pour de nombreuses nations, unies par une foi et une pratique liturgique. L’Office divin est l’autre moitié de la vie de prière publique de l’Église [3] et depuis qu’il y a des chrétiens, nous chantons une certaine forme d’office divin.
Oui, mais qu’est-ce que c’est exactement?
En bref, c’est ce que font les moines [4] en réponse à l’exhortation de saint Paul à « prier sans cesse » et c’est à quoi le chant grégorien est principalement destiné. Ne vous méprenez pas, l’Office divin est au cœur de la vie monastique et notre civilisation a été en grande partie construite par des moines. Presque toutes les institutions que nous tenons pour acquises; droit, médecine, sciences naturelles, agriculture, ingénierie, architecture, universités, hôpitaux, prise en charge systématique des pauvres, des malades, des personnes âgées, de l’éducation des enfants et même des choses intangibles comme l’ordonnancement de nos sociétés selon un classement des petites villes à les gouvernements locaux, les États-nations … tout a été construit sur cette fondation monastique. Sans les moines, il n’y aurait pas eu de civilisation européenne. Et sans l’office divin, il n’y aurait pas eu de moines.
L’Encyclopédie Catholique nous dit que le terme « Office Divin » date au moins du Concile d’Aix la Chapelle en 800, mais que la récitation quotidienne des Psaumes d’une manière ordonnée tout au long des heures de la journée date de « l’Église de Jérusalem », celle des premiers disciples du Christ. Suivant la coutume juive, les premiers chrétiens ont organisé leurs vies autour de leurs temps de prière quotidiens et ont dû vivre des vies très imprégnées de la connaissance de ces louanges, de ces pétitions et de ces lamentations. Les Psaumes eux-mêmes contiennent des indices sur la façon dont ils étaient utilisés par les Juifs:
- In matutínis meditábar in te. / Dès le matin je méditerai sur Toi (Ps. 67,2)
- Média nocte surgébam ad confiténdum tibi / Au milieu de la nuit je me levais pour Te louer (Ps 118,62)
- Véspere, et mane, et merídie, narrábo, et annuntiábo ;et exáudiet vocem meam. / Le soir, le matin et à midi, je raconterai et j’annoncerai, et Il exaucera ma voix. Ps 54,18
- Sépties in die laudem dixi tibi / Sept fois le jour je T’ai adressé une louange. (Ps. 118,164)
La partie principale, décrite par un moine bénédictin comme la « viande du sandwich », [je n’aime pas beaucoup cette image un peu trop vulgaire; On voit bien de quoi on parle c’est à dire le fait d’entourer le fond de la prière, c’est dire le texte psalmique de deux antiennes (Cf. plus loin). Cependant, l’office divin ne devrait pas être considéré comme un repas pris sur le pouce… D’autant plus que S. Benoît – voir plus loin également – reprend avec la même énergie ceux qui arrivent en retard à l’office… et à table !] est le contenu du Livre des Psaumes, qui, selon la manière traditionnelle de récitation énoncée par la Règle de saint Benoît, est chantée chaque semaine dans son intégralité. L’ordo des psaumes à un moment donné de la journée et pour une saison liturgique donnée a une signification très profonde, en lien avec la ‘sanctification du temps’, et ils ne sont choisis ni par le moine ni par le monastère. Saint Benoît a été l’un des premiers grands maîtres spirituels à organiser la journée autour du Psautier et la méthode de sa Règle est encore largement observée dans toute l’Eglise [5].
La division des jours par l’Église en « Heures canoniales » vient de la méthode romaine de mesurer le temps. Quand les apôtres vivaient encore à Jérusalem, ils avaient déjà l’habitude de prier ensemble à minuit, et de là vient l’office de Matines [En fait saint Benoît parle d’un office de Vigiles, où l’on veille, du verbe veiller, vigilare. Cet office ayant été peu à peu dans l’usage décalé de plus en plus tard et jusqu’au petit matin, il a fini par être appelé surtout dans l’usage séculier, c’est-à-dire hors des monastères, office des Matines. Mais ce n’est pas, vous l’avez compris, exactement traditionnel. En effet, quand la règle de saint Benoît parle de « Matines » c’est davantage pour désigner les laudes « du Matin ». Cela peut donc prêter à confusion et provoquer des erreurs d’interprétation du texte latin.]. Laudes est juste avant l’aube, suivi de de Prime, ainsi nommée parce qu’elle marque la première heure de travail du moine. Tierce est généralement autour de neuf heures du matin, la « troisième heure » du jour ouvrable romain [6]. Suit ensuite les « petites heures » de Sexte, la sixième heure à midi, et None, la neuvième heure à nos trois heures de l’après-midi [l’appellation des « petites heures » concerne en fait toutes les heures à l’exception des « grandes » qui sont les Vigiles / Matines, les laudes (du matin) et les Vêpres]. Les Vêpres, nom latin du soir, sont chantées entre 16h30 et 18h selon la période de l’année. [Notons au passage : on utilise le singulier pour Prime, Tierce, Sexte, None mais le pluriel pour Matines ou Vigiles, Laudes, Vêpres et Complies ; en réalité l’appellation plurielles pour Laudes et Vêpres est assez simple à comprendre : c’est un abrégé des « louanges du matin » ou « louanges vespérales ». Alors que pour les petites heures, c’est seulement la marque de l’horloge – solaire – première heure, troisième heure, sixième heure, neuvième heure….] Le dernier office de la journée, Complies, se fait généralement vers 20h après quoi les monastères observent traditionnellement le silence jusqu’aux Matines. Ce cycle de temps de prière régulier constitue le rythme du jour monastique et est appelé dans la Règle « l’Opus Dei », l’œuvre de Dieu, et le moine doit « ne rien lui préférer », ne pas travailler, ne pas dormir ou prendre de nourriture ou toute autre chose. Quand le moine entend la cloche pour l’office, il doit immédiatement déposer sa plume ou ses outils et se hâter vers la chapelle pour son rendez-vous avec Christ [7]. Un monastère qui observe l’office divin complet comme décrit sera « au chœur » en chantant la prière de l’Eglise pendant environ cinq heures par jour [8]. L’office le plus long est Matines et prend entre une heure et 90 minutes, selon que c’est un festin solennel ou une « feria« , un jour de semaine régulier. [Dans le cursus monastique, l’office nocturne a au minimum 12 psaumes, et 3 cantiques de plus ainsi que jusqu’à 12 lectures lors des célébrations de 1er ordre ; cf. https://www.societaslaudis.org/importantes-mises-a-jour-du-week-end-lecons-des-vigiles-osb-oraisons-des-messes-du-temps-per-annum-export-au-format-doc/ C’est la raison pour laquelle cela peut être particulièrement long. Avec la schola saint Maur nous avons chanté intégralement cet office de façon solennelle à plusieurs reprises, Cf. https://www.scholasaintmaur.net/veillons-plaidoyer-pour-une-liturgie-longue-et-nocturne/ et https://www.scholasaintmaur.net/office-nocturne-de-la-nativite-de-s-jean-baptiste-2013/ et cela a pu prendre 2 heures 45 …] Le plus court est Complies qui prend environ 15 minutes et est toujours le même tous les jours. [En fait dans le cursus monastique pour les complies, on a en effet toujours la même psalmodie, « in directum », sans antienne. Elle est connue par cœur parce que l’office est chanté dans la pénombre ; mais la lecture et les oraisons peuvent changer, ainsi que les tons de l’hymne, et l’antienne finale à la Bienheureuse Vierge Marie.] (Les moines se lèvent souvent avant 4 heures du matin, donc à 20h30, il est préférable d’avoir une prière courte et simple de « bonne nuit » facile à mémoriser.)
La récitation de l’office dans le chœur d’une grande église monastique est une expérience incomparable et peut changer votre vie. Si vous allez à l’une des grandes maisons bénédictines contemporaines, comme Fontgombault ou Le Barroux en France, où l’on observe l’office monastique complet, [L’auteur aurait pu citer Solesmes, tout de même puisqu’elle ne se prive pas de citer ensuite abondamment Dom Delatte et Madame Bruyère…] vous verrez l’arrangement « classique » des moines dans le choeur qui est aussi devenu la norme depuis Saint Benoît [en fait ce n’est pas exact : c’est un usage un peu plus tardif, qui date de Cluny] et a formé une grande partie de l’architecture culturelle de notre civilisation. Au bout de la nef de l’église, dans la section séparée de l’espace public pour les laïcs et devant le sanctuaire, des stalles de chœur en bois seront disposées en rangées se faisant face de l’autre côté de l’allée centrale. C’est le « choeur ». Un moine profès est généralement affecté à une stalle dans lequel il conserve ses livres de l’office [dans le milieu monastique on dirait probablement plus « les livres de l’office à son usage »] et ses dévotions personnelles et à laquelle il peut se retirer pour des moments de prière privée tout au long de la journée. [En réalité, il semble que ce soit le plus souvent la cellule, c’est à dire la « chambre » du moine qui soit l’endrot privilégié de la lectio divina.] Au début de chaque office du jour, les cloches sonnent et les moines se rendent dans l’église par deux, en faisant une génuflexion ensemble au Saint-Sacrement puis en se tournant et se saluant avant d’entrer dans leurs stalles de chaque côté. Quand tous sont rassemblés, le chant commence (sauf pour Matines) avec la même prière; un chantre entonne, « Deus in adiutorium meum intende« , le chœur entier répond, « Domine, ad adiuvandum me, festina. » [9] [en fait il ne s’agit pas du chantre mais du célébrant en cas de fête, c’est à dire le plus souvent le Père-abbé, ou bien hors des fêtes « l’hebdomadier », qui prend son « tour de semaine » pour les tâches liturgiques qui lui sont dédiées, notamment l’intonation du Deus in adiutorium, l’introduction des preces, l’oraison conclusive ou « collecte ».] Alors tous font une inclination profonde à la doxologie : « Gloria Patri et Filio, et Spiritui Sancto. Sicut erat in principio et nunc et semper, et in secula seculorum, amen. [10] « Après ceci, une antienne, habituellement un petit extrait du Psaume à chanter [11], est d’abord entonnée puis chanté par le chœur complet. Puis le psaume lui-même est chanté de façon « antiphonée », ce qui signifie que chaque verset, divisé en deux parties avec une pause pour respirer entre les deux, est chanté en alternance entre les deux côtés du chœur. Chaque psaume est conclu avec la doxologie et la réponse: « Gloria patri … Sicut erat … » après quoi l’antienne est répétée. Les offices auront entre trois et cinq psaumes [12], chacun avec leurs antiennes. Après les Psaumes, tout l’office se termine par un bref « chapitre » [le « capitule » que Liturgia horarum – l’office divin depuis Vatican II – a renommé en lectio brevis. Il est exact cependant que la lecture brève de Liturgia horarum est le plus souvent plus longue – et plus variée – que le capitule de la liturgie précédent Vatican II] des Écritures, un petit verset responsorial, une hymne, le Kyrie Eleison et le Pater Noster et la collecte (oraison de la messe du jour), une courte prière pour les mort et pour les frères absents.
Cette pratique monastique de la prière formelle est l’usage principal, en dehors de la messe, du chant grégorien. L’antiquité et l’intemporalité de cette forme de musique, et son adéquation absolue aux fins de louange et de supplication du Dieu Très-Haut sont probablement la raison de l’énorme popularité du chant grégorien parmi les laïcs. Il est, en un mot, transportant, et une fois que cet avant-goût sublime de la réalité céleste a été goûté, il est presque impossible de continuer à ignorer ou rejeter la culture qui lui est attachée. Ceux qui y participent régulièrement, même modestement, ne peuvent plus se satisfaire du postulat que la construction de l’épine dorsale de la civilisation européenne médiévale est uniquement dûe au dur travail certes méritoire des communautés monastiques de l’antiquité tardive. Bref, ce n’était pas l’huile de coude mais bien la prière et la réponse de Dieu à cette prière. Les Chapitres VIII à XIX de la Règle donnent les détails de la façon de dire l’Office et quels Psaumes doivent être prononcés les jours. Au chapitre XIX, « Comment on doit célébrer l’office divin», [en fait c’est « De disciplina psallendi » que l’on peut traduire par « de la manière de psalmodier »] le saint père Benoît dit:
« Nous croyons que la divine présence est partout et que “ les yeux du : Seigneur regardent en tout lieu les bons et les méchants ”. Cependant croyons-le surtout sans le moindre. doute quand. nous nous tenons à l’office divin. »
Dom Paul Delatte, deuxième abbé du monastère Saint-Pierre de Solesmes [non, ici Hillary White fait une petite erreur : il s’agit du 3ème abbé : le premier successeur de Dom Guéranger était Dom Couturier, dont les écrits et la pensée sont, il est vrai , moins connus. Sur Dom Couturier on pourra consulter le livre suivant : http://www.abbayedesolesmes.fr/affichagelivres/dom-charles-couturier-deuxieme-abbe-de-solesmes-1817-1890 ]– source de la grande renaissance monastique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle – propose dans son commentaire sur la règle une explication sur la distinction entre prière privée et personnelle et l’Office Divin.
Vivre toujours dans le « regard » du Seigneur, qui « illumine toute l’activité humaine » … Nous savons qu’en tout lieu et à toute heure nous avons la facilité et la douce obédience de vivre devant lui et de lui rendre hommage. Néanmoins cet hommage est privé, officieux, il vient de l’affection personnelle ; il est libre dans son expression ; et, à condition de demeurer toujours infiniment respectueux il est affranchi de tout cérémonial et de toute étiquette. Mais la liturgie sainte rend à Dieu un culte officiel ; et si Dieu n’est pas plus présent à l’heure de l’office divin qu’à celle de la prière privée, il y a cependant pour nous un devoir spécial de réveiller et d’appliquer notre foi lorsque nous prenons part à cette entrevue officielle où tous les détails sont prévus, toutes les attitudes réglées par l’étiquette divine. L’audience du Seigneur est toujours ouverte : mais l’audience de l’office divin est solennelle.
De ceci nous pouvons certainement voir pourquoi cette sorte de prière hautement formalisée est tombée en disgrâce à l’âge des guitares et de la tenue de main, le » renouveau charismatique » et la mise en valeur de la « relation personnelle avec Jésus ». Nous ne sommes pas à une époque où les rituels solennels et courtois de l’ancienne culture monarchique doivent être rétablis. Mais en même temps, et certainement pour une génération de personnes délibérément privée de tout sens de l’enracinement historique, il y a un désir pour ce type de lien avec le passé, avec les réalités supérieures et avec l’identité culturelle qu’elle nous accorde. Beaucoup d’entre nous ont été victimes de la tentative orwellienne de notre époque d’effacer notre identité et de la remplacer par quelque chose de petit, bon marché, faux et fabriqué.
Il n’est donc peut-être pas si surprenant que l’Office divin, rite le plus formel de notre héritage catholique – un survivants des hauts et des bas de 2000 ans de notre histoire – commence à être reconsidéré par les jeunes catholiques qui se sentent lésés par leurs prédécesseurs immédiats. Les révolutions sociales du siècle dernier ont enlevé tout ce qui nous permettait de comprendre qui nous sommes. Tant de choses ont été effacées de cet ancien héritage catholique que même un bon évêque comme Alexander Sample – lui-même en âge de survivre à cette révolution – pense que c’est une bonne idée que les jeunes se tournent vers les protestants pour recouvrer ce dernier [héritage chrétien]. Mais qu’est-ce que Mgr Sample cherche ? Quelque chose qui ramènera les jeunes catholiques dans un lien quotidien intime avec le Christ dans la vraie foi? Dom Delatte parle de quelque chose que les dernières générations ont méprisé ; pourtant, les jeunes se tournent de plus en plus vers l’office divin, « l’audience solennelle» de la cour royale du ciel:
« Dieu y est entouré d’une majesté plus redoutable ; nous paraissons devant lui au nom de l’Église entière ; nous nous identifions à l’unique et éternel Pontife, Notre Seigneur Jésus Christ ; nous accomplissons L’ŒUVRE par excellence. »
Saint Benoît écrit :
« Considérons donc comment il faut être sous le regard de la divinité et de ses anges, et tenons. nous pour psalmodier de telle sorte que notre esprit soit à l’unisson de notre voix. »
Dom Delatte commente que nous Il ne faut pas voir l’Office tel que le monde le voit, mais avec une compréhension surnaturelle:
Nous sommes en face de la Divinité. Et toute la création est réunie. Et les anges entourent l’autel. Nous allons psalmodier avec eux (Ps. CXXXVll, 1) et chanter le triple Sanctus qu’ils nous ont appris ; ne convient-il pas qu’avec eux nous rivalisions de respect et de tendresse ? Ils se voilent la face de leurs ailes : vous aussi’ dit le prophète David, “ servez le Seigneur avec crainte ” (Ps. Il, 11). Et encore : “ Psalmodiez avec sagesse ” (Ps. XLVl, 8), c’est-à-dire, ayez conscience non pas seulement des mots prononcés, non pas seulement de ce qu’ils contiennent de doctrine, mais aussi, mais surtout de celui à qui vous parlez.
Madame Cécile Bruyère , la première abbesse de l’abbaye Sainte-Cécile de Solesmes, et une protégée du rebelle fondateur de Solesmes, Dom Prosper Gueranger [13], a également écrit sur la primauté de la prière formelle et ritualisée sous la forme de l’office divin, en disant:
« L’hommage officiel et social rendu par l’Église militante au Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, cet ensemble de formules parlées, de chants et de cérémonies qui est comme l’accompagnement nécessaire du Sacrifice éternel, constitue certainement la partie la plus noble du culte divin, qui est le tribut essentiel d’adoration, d’action de grâces, de louange et d’impétration. »
(La Vie spirituelle et l’oraison selon la Sainte Ecriture et la tradition monastique)
C’est, en somme, la participation à l’action de la cour céleste. A l’office divin et lors du sacrifice de la messe, nous participons pour ainsi dire à la vie quotidienne des saints et des anges dans les cieux.
[Sans vouloir polémiquer sur la pertinence ou non des « louanges » charismatiques, il faut quand même souligner ce que justement un moine m’avançait à ce sujet : il est frappant de constater que la mode de la prière de type charismatique de « louange » est apparue dans l’Eglise catholique au moment précis où l’Eglise n’avait justement pas encore promulgué à la suite de la réforme liturgique, un office divin. alors que le concile s’ouvre en 1962 et entreprend de commencer ses travaux précisément sur la liturgie, il faut attendre 1970 pour la lettre apostolique de Paul VI, Laudis canticum, qui rétablit l’office divin en conformité avec la volonté des Pères conciliaires. C’est justement dans cet intervalle où apparaissent les premiers « groupes de prère charismatiques » ]
[1] Dans son sens latin, « régulier » signifie organisé selon une règle. Le « Clergé régulier » ce sont donc les prêtres rattachés aux ordres ordres religieux comme les dominicains ou les bénédictins.
[2] Il y a d’autres ordo qui prennent plus ou moins de temps pour parcourir les 150 psaumes, mais je connais très bien l’arrangement bénédictin traditionnel, alors je me concentrerai sur cela comme point de référence.
[3] La partie privée de la prière est, pour les Bénédictins, la « Lectio Divina » (lecture divine) dans laquelle les Ecritures et les écrits des saints sont digérés lentement et pensivement. De là le moine vise à un état spirituel élevé à travers les étapes de la Lectio (lecture); Meditatio (méditation); Oratio (prière verbale) et Contemplatio (« contemplation » ou « prière infuse ») qui mène à l’union avec Dieu. C’est le chemin de la sainteté dont parlent tous les auteurs spirituels. De Cassien et Benoît à Thérèse et Jean, nous savons que ces deux moitiés de prière, avec la vie sacramentelle, sont le fondement du processus que nous appelons dans l’Église latine « sanctification » et en Orient, la « divinisation ». C’est le projet d’une vie, mais en entrant pleinement dans, on se transforme en un nouveau type de personne, un saint.
[4] Non seulement les moines mais tout le clergé catholique sont obligés à la récitation quotidienne de l’office divin, bien qu’il existe une forme plus courte pour le clergé séculier produit après le Concile de Trente qui est plus approprié pour leur vie non-monastique. [En réalité, il s’agit d’un racourcissement de l’office nocturne, mais comme il faut réciter les 150 psaumes en 1 semaine, il y a plus de psaumes aux offices diurnes] Ce «bréviaire romain», promulgué par le pape Pie V, [en fait le cursus séculier de l’office est bien plus ancien que Pie V] a été utilisé jusqu’à ce qu’Annibale Bugnini crée les «révisions» de la liturgie de l’Église qui nous a donné la nouvelle «Liturgie des Heures» que la plupart des membres du clergé utilisent aujourd’hui . D’autres, plus experts que moi, ont traité de ces changements dans les moindres détails. Il y a quelques autres formes de l’office dans le rite latin (les églises orientales sont un autre sujet), y compris le dominicain, l’ambrosien – celui de l’ancien siège de Milan – et les rites mozarabes, mais ils font tous plus ou moins la même chose : Psaumes, plus hymnes, plus de courtes lectures et prières. Il y a un office monastique révisé utilisé par les religieux adhérant à la nouvelle liturgie post-Vatican II, mais cela ne m’intéresse pas tellement que j’ai presque oublié de le mettre dans cette note. [en effet il y a des répartitions de psaumes proposant une autre répartition ; saint benoît le permet d’aillerus explicitemement, justement dans la partie consacrée à l’ordo psallendi :
Hoc praecipue commonentes, ut si cui forte haec distributio psalmorum displicuerit, ordinet, si melius aliter judicaverit, / Nous faisons surtout la recommandation suivante : si jamais cette distribution des psaumes déplaît à quelqu’un, qu’il en adopte une autre jugée par lui meilleure
Saint Benoît ajoute cependant :
ut omni hebdomada psaterium ex integro numero centum quinquaginta psalmorum psallatur et dominico die semper a capite repetatur ad vigilias quia nimis iners devotionis suae servitium ostendunt monachi, qui minus psalterio cum canticis consuetudinariis, per septimanae ; circulum psallunt ; cum legamus sanctos Patres nostros uno die hoc strenue implevisse, quod nos tepidi utinam septimana integra persolvamus ; / pourvu qu’il veille, en tout cas, à ce qu’on chante chaque, semaine intégralement le psautier de cent cinquante psaumes et que, le : dimanche aux vigiles, on le reprenne toujours au commencement. Car ils, montrent vraiment par trop de lâcheté dans le service qu’ils ont voué, les moines qui, au cours d’une semaine, psalmodient moins d’un psautier avec les cantiques habituels. Nous lisons que nos saints Pères accomplissaient. vaillamment en un jour cette tâche ; nous, dans notre tiédeur, puissions nous nous en acquitter en une semaine entière !
Liturgia horarum c’est-à-dire le cursus séculier réformé après le Concile Vatican II répartit les 150 psaumes sur 4 semaines. Il est vrai que ce cursus ne concerne pas les moines ; mais beaucoup de monastères ont conservé la répartition des psaumes telle que la mentionne S. Benoît, ou de façon très proche, avec les 150 psaumes sur une seule semaine, même après la réforme liturgique.]
[5] A l’époque de Benoît et à travers les Ages de la foi, la première tâche d’un moine novice était de mémoriser par cœur le livre entier de 150 Psaumes – peut-être pas aussi dur que cela si vous le récitiez tous les huit fois par jour tous les jours. Plus tard, son enseignement en langue latine – si nécessaire – était basé sur cela. L’éducation entière d’un moine était organisée autour de l’Office et des Écritures qui lui étaient propres.
[6] Nous nous souvenons de cela à partir des premiers passages des Actes des Apôtres à la Pentecôte. Après que le Saint-Esprit ait infusé la connaissance des langues dans les apôtres, ils ont été accusés d’être ivres de vin nouveau. Mais Pierre, parlant pour le groupe, réfuta cette phrase: « Ces hommes ne sont pas ivres comme vous le supposez. Ce n’est que la troisième heure du jour! » C’est-à-dire vers neuf heures du matin.
[7] Ad horam divini officii, mox ut auditum fuerit signum, relictis omnibus qua ;libet fuerint in manibus summa cum festinatione curratur cum gravitate tamen, ut non scurrilitas inveniat fomitem Ergo nihil operi Dei praeponatur / « A l’heure de l’office divin, dès qu’on aura entendu le signal, on laissera tout ce qu’on avait en mains et on accourra ; en toute hâte, avec sérieux cependant pour ne pas donner aliment à la dissipation. Ainsi rien ne sera préféré à l’Œuvre de Dieu.
« Règle de Saint Benoît Ch. 43
[8] Une description détaillée de chacune des Heures canoniques de l’Office divin peut être trouvée ici. Mais à mon avis, aucune description de ces détails ne peut jamais être claire jusqu’à ce qu’une personne ait expérimenté l’Office personnellement. [Oui la forme ordinaire de l’office divin est chantée (tout comme la Messe d’ailleurs). ne faire que réciter son office, ce n’est certainement qu’un pis aller. Ceci est évidemment valable pour l’office diurne comme l’office nocturne. On ne peut sur notre site qu’encourager les usagers à expérimenter de façon concrète l’office divin à un endroit – monastique ou non – où on le célèbre avec sérieux. Ce qui je l’admets, n’est pas facile ni courant. Dans beaucoup trop d’endroits et dans les paroisses qui le font parfois, l’office est perçu comme une simple dévotion en commun, comme s’il s’agissait de réciter ensemble le chapelet; a aucun moment cela ne correspond à la lettre ou à l’esprit de cette réalité, si l’on comprend bien la citation de Dom Delatte, plus haut… Car l’office doit être chanté, et bien chanté : et en pls de cela il doit correspondre à un cérémonial, juste et précis, qui embellit les paroles proférées.]
[9] « O Dieu, viens à mon aide ; O Seigneur, hâte-Toi de me secourir », la prière la plus recommandée par les maîtres spirituels pré-bénédictins comme saint Jean Cassien. Tellement importante que Benoît l’a adoptée comme l’ouverture de tous les offices de l’époque. [Sur ce pont précis on se reportera aux fameuses « collations » de Jean Cassien : 10ème « collation » avec l’abbé Isaac sur la prière : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/peres/cassien/cassien01.htm#_Toc103504168 .Jean Cassien, moine formé en Egypte est l’importateur du monachisme cénobitique en Occident, et fondateur d’un monastère à Marseille. Cassien est très probablement un inspirateur de S. Benoît et de sa Règle, elle même reprenant plusieurs parties et notions déjà présentes dans un autre écrit (de Cassien ?) appelé « la règle du maître ».]
[10] « Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit; comme il était au commencement est maintenant et toujours, dans les siècles des siècles, Amen.
[11] Ou une brève prière liée au jour de la fête.
[12] Dom Prosper Guéranger, le re-fondateur de Saint-Pierre de Solesmes, a presque sauvé à lui seul le monachisme bénédictin et le chant grégorien du quasi oubli auquel il a été confronté après un siècle de suppressions laïcistes. Son histoire permet de faire comprendre aux catholiques à la fois ce que nous faisons face à un monde qui déteste le Seigneur et ce que nous devrions faire malgré ce dernier. [Sur Dom Guéranger, ne rater sous aucun prétexte le site web qui lui est dédié ici : https://www.domgueranger.net/ ]
[14] « La Vie Spirituelle et l’oraison selon la sainte écriture et la tradition monastique » Cécile Bruyère. [On trouve ce livre excellent sur internet ou à Solesmes : http://www.abbayedesolesmes.fr/affichagelivres/la-vie-spirituelle-et-loraison
Sur madame Bruyère, première abbesse de Solesmes, on peut consulter le site web du monastère qu’elle a fondé à Solesmes ou certains de ses écrits sur le site web de Dom Guéranger : https://www.domgueranger.net/in-spiritu-et-veritate-1/ ]